Presse-papiers


Recueil d'entrées de journal personnel, de correspondances, de réflexions, d'écrits littéraires sans rapport obligé avec mes écrits professionnels, scientifiques ou citoyens sur la problématique « Informatique et Société » à être répertoriés sur une autre page.

Certains déjà publiés, d'autres inédits. Pour mémoire comme pour les amis et les curieux. Bonne lecture.

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Citoyen. Spécialiste en évaluation sociale de systèmes d'information sur les personnes. Chercheur invité chez Communautique. Chercheur associé au CEFRIO. Écrivez-moi

Fusillade à Dawson, Leonard Cohen et la normalité


Ce mercredi soir là, après l'interminable bulletin de nouvelles de 21 h et l'horreur des lancinants reportages sur la fusillade, j'ai pris mon parapluie pour aller faire des courses au supermarché.

Montréal était tranquille et belle sous la pluie.

Dix minutes de marche aller. Dix minutes retour. Après avoir déballé les sacs et ranger leur contenu, je sentais que mon corps avait encore besoin d'exercice.

J'ai donc repris mon parapluie et marché vers la montagne. Passant au coin de Saint-Laurent et Rachel devant Steve Pizza, spécialiste de la pizza à la pointe, je vois assis contre la vitrine... Leonard Cohen. Il parle à un couple. Une femme, un homme. Les seuls autres clients. Manifestement venus s'approcher de lui et s'assoir près de sa table. Admiratifs. Cohen leur parle avec ses yeux et sourire amusés, affectueux et calmes à la fois. On voit combien il a vieilli. Il porte un béret noir sur la tête, un manteau sombre sur les épaules.

Wow ! Cohen est à Montréal. Je sais qu'il y revient souvent. Or il est là juste à côté de moi. À moins d'un mètre de moi. Il a fallu vraiment me retenir pour ne pas lui faire de grands signes de salutations de l'autre côté de la vitrine. J'étais surexcité. Sur le bord du ridicule. Cohen était juste là. Un de mes poètes et chanteurs préférés. Stranger Music, la compilation de ses poèmes, est un de mes livres de chevet (Michel Garneau en a réussi une traduction remarquable dit-on).

Folle envie d'entrer le rencontrer aussi. Mais qu'aurais-je eu à dire ? À part des banalités sur le fait que j'aime ce qu'il fait. Évidemment, j'ai eu souvent l'occasion d'approcher bien des gens remarquables dans ma vie. Des gens que j'admire et qui m'ont marqué. Pierre Dansereau, par exemple, il y a peu. Mais je n'arrive jamais à m'approcher. Je déteste la flagornerie et l'insignifiance. Parfois, je leur écris un mot plutôt. Je l'ai fait avec Fernand Seguin, peu de temps avant sa mort, pour tous ces instants que j'ai passé avec lui à la radio le samedi. L'émerveillement et la critique de la science qu'il nourrissait simultanément.

Bref, après un subtil ralentissement de mon pas, j'ai finalement poursuivi discrètement mon chemin devant Steve Pizza. J'ai poursuivi jusqu'à du Parc, puis l'ai emprunté vers le Sud. Mais cette direction me rapprochait du collège Dawson, via le campus de McGill. J'ai donc plutôt détourné ma marche vers l'est à Prince-Arthur qui m'a conduit jusqu'au parc Lafontaine, via Cherrier, avant que je ne songe à revenir à la maison.

La ville était belle. Réflétée par les nuages bas, il y avait de la lumière partout, très douce. La ville était calme. Pleins d'autres passants flânaient, marchaient, parlaient entre eux et elles, parlaient à leur téléphone cellulaire, écoutaient leur baladeur. Chacun poursuivant sa vie malgré l'horreur qui venait à peine d'avoir lieu à un kilomètre à peine, deux au plus.

Meurtrie, Montréal était néanmoins belle. Léonard Cohen était en ville. La vie continuait.

Rendu au parc Lafontaine, j'ai pris conscience que la fusillade de Dawson me... rassurait.

Il y avait quelque chose de rassurant dans cette violence gratuite, incontrôlée, isolée, choquante. Ce qu'il y avait de rassurant c'était précisément cette gratuité, cette impossibilité de la prévoir ou de la contrôler, sa rareté, le fait qu'elle choque autant. En effet, cette violence aurait eu une intention politique ou simplement de vengeance qu'il nous aurait fallu en être alarmés. Cette violence serait impossible, ou même simplement prévisible, qu'il nous faudrait aussitôt nous inquiéter pour notre libre arbitre. Elle serait banale qu'il faudrait se préoccuper de nos santés individuelles et collective. Ce qui était rassurant était le fait que rien ne nous met encore à l'abri de l'horreur. D'autant plus rassurant, bien sûr, que ce type d'horreur est devenu de plus en plus rare en nos contrées (les froides statistiques démontrant la chute constante des nombres de meurtres par arme à feu). Mais surtout que nous pouvions préserver notre capacité de continuer à vivre, à vaquer à nos petites affaires quotidiennes, à nous extasier devant la beauté, à nous réjouir de la présence d'un poète qui a lui-même écrit sur la normalité de l'horreur et l'horreur au quotidien. Il y avait quelque chose de rassurant à voir ainsi se réaffirmer la fragilité de la vie, le véritable prodige qu'elle constitue devant la possibilité à tout moment d'un dérapage fatal. Il y avait quelque chose de calmant, de réconfortant.

J'ai alors pris le chemin du retour, heureux, tranquille, serein.

Montréal était belle. Léonard Cohen était en ville. Il y avait de la vie partout.



13 septembre - 4 octobre 2006

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